Une journée à la SFPA : soigner le Sens
Soigner le sens, une journée de travail à la SFPA
Retranscrit par Gaël de Kerret
Uniquement sur des notes prises sur place sauf pour le psychanalyste américain pour lequel j’ai été obligé d’écouter le replay
À peu près 200 personnes se sont réunis le 15 novembre 2025 à Paris pour aborder « la clinique du sens ». Le programme de la journée était fort bien construit puisqu’on allait faire attention à soigner le sens de l’enfant, de l’adolescence, du parent en finissant par la vieillesse, tout un parcours que Jung a vécu aussi faisant de ses expériences un sens, ce sens créant « l’axe du juste », non comme une donnée idéale, mais comme un processus de transformation. Le sens est la vie vécue et non la vie non vécue !
La première conférencière fut Sophie Braun : « L’émergence du sens, co-création toujours en devenir ». La conférencière, prenant prétexte du constat de la barbarie mondiale, de la mise ne danger de la démocratie et de ces enfants qui gouvernent le monde actuellement, nous incite à se poser la question : quel est mon noyau au-delà des tempêtes, tenant les opposés entre sens et non-sens ? Comme le Christ souffrant face à la matière, quelle est la tension des opposés à tenir ? Quel sacrifice positif ai-je à faire, de l’ordre d’un moi enfantin tout-puissant (cf. par exemple les problèmes psychiatriques des délinquants et jeunes terroristes) ? Quel est mon instinct psychique de recherche de sens ? Nos jeunes, dit la conférencière, happés par les réseaux sociaux et la déstructuration sociale ne peuvent plus le faire. Comme dit Georges Bernanos dans « La France contre les robots, « On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». Job est en revanche un exemple de cet enfant soumis qui passe au stade adulte humanisant. Ne vaut-il mieux pas risquer de vivre plutôt que d’étouffer le divin ? À ce moment, l’individuation est politique dit la conférencière.[1] Comme dans Réponse à Job, le Soi a besoin du moi/Job pour s’incarner.
Face à cette œuvre, quelles sont mes limites en tant qu’analyste ? Par exemple, on dit fréquemment que les épreuves sont un chemin obligé pour un élargissement de l’esprit, se posant la question du « pourquoi vers le parce que ». Mais ce chemin n’est pas acceptable par tous qui eux, vont se poser la question du « Pour quoi ? », démarche éminemment plus profonde accédant au numineux des archétypes dans lequel la conscience s’élargit à partir du noyau intérieur. Pour d’autres (bipolarité, angoisse en toute conscience, suicide de plus en plus tôt), en face d’un narcissisme réduit à rien, il sera meilleur de chercher simplement l’élan vital en faveur d’une créativité de soi-même. C’est dans cette co-construction que l’analysant s’engage avec l’analyste, donc en confiance mutuelle, pour donner une valeur à ce qui sort du sujet, que cela soit ombre ou lumière : quel est mon mythe personnel puisque celui-ci est la révélation du Soi, puisque « le mythe nous parle comme verbe de Dieu ».[2]
Mais il y a une confiance que le psy doit exercer envers lui-même : a-t-il bien soigné ses bébés intérieurs qui fait que, en tant qu’analyste, je fais subtilement penser que la Vie est un sens ? Au bout du travail d’un homme qui marche donc entre équilibre et déséquilibre des pas[3], on atteindra une complétude sereine et Jung a pu le dire dans ses pensées tardives : « je ne suis que cela ». mais « cela » est la complétude, ayant dépassé tout idéal, tout narcissisme, toute comparaison et toute-puissance.
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Après de longs applaudissements, il s’ensuivit des réflexions sur le sens des ruptures du développement à l’adolescence par Olivier Cametz.
Il s’agit là de rassembler ce qui est épars si ce n’est ... épar-pillé. Le conférencier nous fit part de la période de spiritisme que Jung voulut connaitre avec le cas d’une jeune fille qui faisait – avec interférences possibles - partie de sa famille. Il y était intéressé d’autant plus que de nombreuses personnes de sa famille avait des visions et il voulait savoir où se situer lui-même. Il a travaillé la dissociation de cette jeune femme qui, par ces actes éthérés, cherchait un sens à sa vie. Le conférencier voit dans ses patients comme dans le cas de cette femme une oscillation entre psychose (sortant de la réalité : mon moi est l’inconscient) et la névrose (quelqu’un qui reste dans réalité malgré la puissance de l’Inconscient). C’est dans ce cadre que l’orateur nous soumet alors deux cas.
a) la Tutelle administrative et psychiatrique lui envoie un adolescent sans père et ayant parcouru tous les services sociaux. Il a des comportements excentriques justement parce qu’il n’arrive pas à être inséré dans la société et il l’a signifié en faisant une comédie de suicide en bord de fenêtre de classe devant professeurs et élèves, et non en solitaire.
L’analyste a l’idée de lui créer un vase alchimique, comme un temenos grec, un temple, lieu où il puisse y trouver bienveillance. Mais l’ado fuit, ne vient pas. Et l’analyste doit se confronter à ça, du fait même que le patient n‘est pas prêt à sortir de son état puisqu’aucun élément ne permet en lui-même de le remettre en question. On a du mal à aborder le fond qui était de quitter le monde maternel d’autant plus qu’il n’y a pas de re-père. Mais en maintenant coûte que coûte le cadre qui leur avait été donné par les services sociaux, le psychiatre s’est mis lui-même non pas face à l’adolescent, mais en égalité avec lui : deux personnes dans la même pièce constellant leur Inconscient au-delà du moi. On a trouvé, dit le conférencier, des affects communs qui ont fait qu’il y eut un transfert et un contre-transfert et eut le résultat de baisser la souffrance et le travail devient transformateur.
b) L’adolescente Nadia cherche un refuge à l’extérieur, toxicomane et SDF donc. Elle aussi résista aux rencontres demandées par les services sociaux : retard, absence, reproche d’injustice agissant comme un enfant capricieux pour remettre en question le calendrier. Et notre conférencier psychanalyste de se demander. Quelle est l’autorité ? C’est elle qui l’a sans doute pour ne jamais être prise en défaut. Et apparemment ça force le psy à être le senex. Mais devais-je faire le senex face au puer, se demande-t-il ? Faire l’autorité du sage face à ce qui n’est pas construit ? En ce cas, il n’y aurait jamais de rencontre et encore une fois, le psy se doit d’aimer son côté puer pour le consteller avec la patiente dans ses quelques moments de présence. Soudain un rêve voulut coopérer : « Je cours et je suis poursuivie par ch’ai pas quoi ». Ce fut un rêve venant d’elle qui accepta le conflit intérieur, qui montra que son problème était à ‘intérieur. Puis un second rêve : « Dans un appartement, quelqu’un est derrière la porte qui pousse la porte et moi j’ai résisté ». À part le fait que cela dise son angoisse quotidienne, ceci m’encouragea, dit Olivier Cametz, à lui dire que notre travail allait réduire la violence de cette poussée mais que quelqu’un voulait te voir. Pour lui, il apparaissait sans doute derrière la porte des symboles organisateurs pour construire la psyché. Mais en résistant, on voyait qu’elle n’était pas prête. Cependant tous les éléments étaient présents.
Sans commentaires à ce stade du travail : la légalité a fait que le nombre de séances ayant été atteint, il ne l’a plus jamais revue.
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Notre troisième conférencière fut Ève Pilyser, femme cérébrale qui aborda un thème qui l’intéresse depuis longtemps : l’œdipe et le contre-œdipe, mais cette fois sous un angle spécifique : « L’archétype de l’enfant questionné à travers la clinique de l’anorexie mentale ». Pour elle ce contre-œdipe correspond au milieu de la vie des parents. Pourquoi leur fille est-elle anorexique ? C’est qu’elle ressent le contre-œdipe parental. Plus exactement, la mère fantasme sur l’œdipe père-fille et comme cette mère ne peut supporter qu’il y ait plusieurs femmes, il faut empêcher la fille d’être fille. La fille devient donc « enfant divin », se sacrifiant pour l’archétype de la grande mère qu’est sa mère en elle. La boulimie est du même effet : devenir non désirable par le père, mais ... on n’en meurt pas dans ce cas.
La conférencière ne peut éviter de voir qu’une même compétition entre la mère et la fille a lieu dans le ventre et à l’allaitement mais il n’y a pas meurtre de la mère. À l’inverse on sait qu’il y a mortalité possible par l’anorexie. Dans le même temps, ce corps anorexique fait peur aux parents inconscients...
Bref il n’y a pas de triangulation saine dans laquelle les deux parents ont un amour réciproque ou au moins sont préoccupés de leur couple, instance qui permet à l’adolescente de se situer sans qu’elle soient abimées par des projections parentales.
Je raccourcis un peu ce moment puisqu’elle-même a renvoyé à son livre : « Pourquoi l’inceste ? »[4]
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S’ensuivit Mark Winborn : « Le sens émerge : le rôle de l’expérience dans la création du sens ».
Nous sommes habitués à une interprétation par les images et les symboles qui est majoritaire chez les jungiens. Mais ceci réclame d’abord de la prudence eu égard aux différences culturelles. Par exemple le blanc est la mort pour l’Extrême-Orient mais la pureté en Occident. Plus largement, il n’y a pas que l’approche épistémologique qui privilégie l’image archétypale déjà dans le rêveur (s’il l’ignorait). C’est possible mais ce n’est pas l’unique chemin, car l’archétype organise l’expérience mais n’est pas l’expérience.
Qu’est-ce que l’expérience ? Elle fait référence à un sentiment subjectif d’énergie, de puissance et de sens, un sentiment de vivacité. Cette vitalité peut être expérimentée tout au long des journées mais aussi dans les arts.
Donc il faut promouvoir l’expérience, tant intrapsychique (ce qui est ressenti à l’intérieur) qu’intersubjectif (ce qui est ressenti entre l’analyste et l’analysant). CG Jung sur ce dernier point : « Quand deux personnalités se rencontrent, c'est un peu comme quand on mélange deux substances chimiques différentes : s'il y a une réaction, les deux se transforment. Dans tout traitement psychologique qui marche, le médecin va forcément influencer le patient, mais cette influence ne peut se produire que si le patient a aussi une influence sur le médecin. On ne peut pas influencer quelqu'un si on n'est pas ouvert à l'influence. »
On peut aussi se rallier à la théorie de l’émergence qui ont un rapport avec les neurosciences. Il faut bien être conscient, dit Christian Roesler que Jung a travaillé sur un corpus dont il a hérité, mais nous nous devons d’intégrer la culture contemporaine puisque certaines images venant de l’antiquité par exemple sont inopérantes pour certains rêveurs. En revanche, des films comme Matrix ou des mangas peuvent provoquer une émotion signifiante et utilisable en analyse.
L’épistémologie habituelle aux jungiens est connaissance et explications données sur des images et symboles alors que l’ontologie est l’être devenu soi-même. Comme le dit Thomas Ogden, « Être et devenir plus pleinement soi-même, ce qui pour moi, veut dire être plus présent et plus conscient de ses pensées, de ses sentiments et de son état physique ; devenir plus capable de sentir son propre potentiel créatif unique et trouver des moyens de le développer ». L’expérience se créée par des ondes alpha et Jung est bien dans le domaine ontologique quand il parle d’expérience numineuse.
Les 2 approches s’aident mutuellement.
Quelle est la base neurosomatique de l’expérience ?
Les émotions sont le souffle de la psyché faisant le lien entre le corps et cette psyché, l’instinct et l’esprit : « les sentiments primaires surgissent tout naturellement et tout le temps quand on est éveillé. Ils nous font ressentir notre corps de manière directe, sans mots, juste connectés à l’existence pure. Ces sentiments primaires reflètent l’état actuel du corps à différents niveaux, par exemple sur une échelle allant du plaisir à la douleur, et ils viennent du tronc cérébral plutôt que du cortex cérébral. Toutes les émotions sont des variations musicales complexes des sentiments primaires ». (Antonio Damasio). Mark Winborn souhaite, comme Rudolf Otto, que l’émotion, l’expérience corporelle de l’émotion, soit mise en œuvre dans le travail analytique.
Dans son expression, les affects présentent l’expérience sous une forme symbolique. Jung le savait mais les conditions scientifiques ne lui permettait pas d’amplifier la chose : « Si l’on voit l'apparition de la psyché comme un fait relativement récent dans l'histoire de l'évolution et qu’on suppose que la fonction psychique est un phénomène qui va de pair avec un système nerveux qui, d’une manière ou d’une autre, s’est centralisé, Alors c'est dur de croire que les instincts étaient à l'origine de nature psychique. Et comme le lien entre la psyché et le cerveau est une hypothèse plus probable que la nature psychique de la vie en général, c'est important psychologiquement parce que ça mène à la formation de structures ou de modèles qui peuvent être considérés comme des déterminants du comportement humain. » (CG Jung).
L’esprit et le corps sont donc unis, l’expérience serait ascendante du corps à l’esprit : « L’âme respire à travers le corps, et la souffrance, qu'elle vienne de la peau ou d'une image mentale, se ressent dans la chair ». (Antonio Damasio) Ceci en miroir de Jung : « Ce qui fait notre personnalité, c'est surtout l'affectivité. La pensée et l'action, c'est juste des symptômes de l'affectivité ».
Voici un cas d’anxiété et d’obsession d’une femme que manifestement sa mère lui a transmis. Sa tension corporelle est telle qu'elle casse souvent des objets. Un jour elle a acheté une pierre avec inscrit dessus le mot « respirer » et ça a marché elle a eu l'expérience de la respiration tel qu'elle ne l'avait jamais connue. On pourra alors combiner cette expérience dans d'autres domaines pour le bienfait du processus analytique. Le mot « pierre » est ici une métaphore
Qu’est-ce qu’une métaphore ?
La métaphore, c’est quand on utilise un domaine conceptuel ou imaginaire pour décrire ou expliquer les caractéristique ou l'expérience d'un autre domaine conceptuel ou imaginaire. La recherche montre qu'à la rencontre de métaphores, ce n'est pas la même part de cerveau qui travaille : quand on lit de la prose habituelle, ce qui est l’expérience de la ligne de photos d’en haut de l’image, c’est cette part colorée du cerveau qui est en action. En revanche si la personne lit du Shakespeare cela va dans la direction de l'hypothalamus (ligne de photos d’en bas) :
En d’autres termes, on n’a pas à se protéger de la sensation corporelle car elle enseigne profondément. Il serait bon que la formation psychanalytique soit revisitée par les affects basés sur des métaphores ; les rêves et symboles étant des outils supplémentaires.
Conclusion
Ce qu'il y a de plus précieux et de plus important dans la vie, c'est la conscience, c'est-à-dire le fait de pouvoir ressentir, vivre le monde et soi-même dans ce monde. En fait ce qui nous fait vraiment craindre la mort, c'est la peur de ne plus exister, c'est-à-dire de ne plus vivre. La conscience et l'expérience subjective sont au cœur de notre existence : l’expérience subjective est aussi le point de départ de toute vie humaine sensible.
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Nous finissons avec Marie-Laure Colonna sur « L’art alchimique de vieillir, vers le mystère de la Fleur d’Or ».
La fleur d’or est la lumière de la conscience, l’heure d’or, l’aurore : toute cette langue des oiseaux pour arriver au lever de l’aurore, Aurora consurgens, traité attribué à Saint Thomas d’Aquin. Lui qui a refusé les femmes pendant sa vie, il y eut un retour du refoulé qui fait qu’il découvrit Le cantique des cantiques, livre évidemment féminin de l’Ancien Testament de la Bible. Lui qui avait vécu l’œuvre au blanc pur, il accède à l’œuvre au rouge par une incarnation du féminin en fin de vie. Il était d’abord passé par l’aube, comme le citrinitas alchimique, le retour même amer à la vie.
Quand Jung a eu son accident cardiaque, il a aussi eu des images du cantiques des cantiques et il dit dans Ma vie :« J’ai fait la mariage sacré ». Quand il guérit en 1944, il se posa alors la question du passage alchimique du blanc au rouge, l’unus mundus alchimique. Il en conclut entre autres que « La mort, si on la considère du point de vue psychologique, est non une fin, mais un but, et c’est pourquoi la vie en vue de la mort commence dès que le zénith est franchi »[5].
Voici le rêve d’un homme de 80 ans : « Dans un vignoble en Provence, des gens font des rites d’initiation. Un homme fier et viril porte un panneau sur lequel est dessiné à gauche un d comme déporté et à droite un E majuscule qui dessine les 2 cornes d’un taureau avec la tête au milieu ». Le rêveur se mit à pleurer car il n’y a pas de sacrifice mais une reliance corps-âme-esprit, lui qui auparavant était un déporté.
L’ego se dissipant avec l’âge, on devient fenêtre transparente entre sa matière et son âme. Jung écrit dans son commentaire sur la fleur d’or[6] : « Le conscient commence à se détacher de ses contenants ... quand la vie a été vécue de façon si exhaustive et avec un tel esprit de don de soi qu’ils n’existent plus d’obligations vitales non remplies ».
Conclusion. De la jeunesse à la vieillesse : être, faire, se laisser faire, tels sont les devoirs qui nous sont demandés pour une complétude pour dire à la fin : j’ai fait ce que je devais.
La fleur d’or est un mandala aux mille pétales ouverte à tous.
[1] Et pour ma part, je me souviens de la réponse de Jung sur le fait d’avoir éventuellement une seconde guerre mondiale, question à laquelle il a répondu : « tout dépend du nombre de ceux qui feront le travail intérieur ».
[2] Jung dans ma vie pensées tardives
[3] Voir la sculpture « L’homme qui marche » de Giacomettiune journée à la SFPA : soigner le Sens
[4] Éditions du dauphin 2021
[5] Édit. Albin Michel, trad. E. Perrot, 2021 p.84
[6] idem p.69