Expérience de travail commun entre les 2 clubs d’interprètes de l’AFO

 

Expérience de travail commun entre les 2 clubs d’interprètes de l’AFO

                                                                     

Il arrive parfois qu’un rêve veuille travailler pour son propre compte, hors des problèmes éventuels que tout personne porte en elle et qui sont destinés à être transformés. Ce qui a permis ma déduction et le choix de ce rêve est l’absence totale d’associations venant de la part de la rêveuse. Il m’a paru alors intéressant de travailler ce rêve objectif entre tous les interprètes certifiés de l’Association Française d’Onirologie, de soulever les diverses pistes possibles afin d’en extraire quelque pointes saillantes.

C’est réuni avec Léa, Pauline, Lisa, Barbara, Karyn, Alison, Évelyne, Valérie et Christine que nous avons fait ce travail, conscientes de notre responsabilité éventuelle envers tout rêveur.             

Gaël de Kerret

 

Je dois aller aux toilettes et ce sont des sortes de toilettes magiques. Je pense que je ne pourrai pas rentrer dedans, elles sont trop petites, mais je vois une femme le faire avant moi et je décide de faire confiance au mécanisme. Je commence à y entrer et effectivement je me retrouve tout à coup en entier à l'intérieur, les jambes en l'air et la tête en bas ! Et mon pipi s'échappe de moi par le haut !

 

Cette femme (qui a environ 40 ans) doit aller aux toilettes pour uriner. « L’action d’uriner est en général le symbole d’une expression authentique de soi-même. C’est l’une des rares fonctions que l’on ne peut réprimer. Nous pouvons arrêter de dormir ou de manger pendant un certain temps, mais pas d'uriner, c'est au-dessus de nos forces. C'est un besoin qui nous domine et qui exprime donc une sorte de : « Me voilà, c'est ainsi que je suis ». Nous sommes ainsi fixés par Marie-Louise Von Franz[1] sur l’authenticité de la démarche. C’en est même un devoir dit le « il faut ». La nécessité d’un devoir personnel émerge de ce choix du rêve concernant l’urine. Le fait d’uriner n’attend pas et donc le rêve dit à la rêveuse que quelque chose n’attend pas. Mais quoi ?!

 

Bien sûr, en premier abord, nous voyons dans le fait d’uriner une purification et un nettoyage. Mais les interprètes présents ne s’y arrêtent pas. Pour CG Jung, l’urine est aqua permanens[2] , permanence confirmant ainsi ML Von Franz et faisant de ce liquide l’eau de l’Inconscient puisque la propriété de l’eau est toujours de descendre vers le plus profond, dans tous les trous possibles. C’est pourquoi Jung associe l’urine à la Pierre et à la prima materia. Sa couleur est jaune comme le stade de l’œuvre en question : la citrinitas, moment où la rêveuse aperçoit une Totalité mais que, de ce fait, l’amertume est grande du fait du chemin à parcourir encore.

 

Deux réflexions sur ce « pipi » :

1) Nous avons fait remarquer qu’il ne s’agissait pas dans le texte d’urine mais de pipi. Il se montre là une régression pour un changement d’état de conscience. Pipi est un mot d’enfant dont il faut sortir par le haut. Pour le moment, l’une d’entre nous a fait allusion au « Manneken piss ». Or un traité d’alchimie[3] montre un homunculus faisant pipi dans une sorte de cornue. Ici aussi, les Toilettes ont l’air d’être petites comme des Toilettes d’enfant et aussi comme un matériel alchimique. C’est sans doute cette part d’enfant en la rêveuse qui doit être transformée par diverses opérations alchimiques. Plusieurs hypothèses ont été évoquées sans pour autant connaitre la rêveuse : comment s’est passé sa naissance ? Ou quel accouchement se revit là, eu égard à sa tête vers le bas ? Mais nous nous sommes ralliés plutôt à l’image de l’innocence, de la pureté et de la confiance (mot du rêve).

2) Comme nous ne sommes pas dans l’image d’une évacuation du pipi vers le bas, nous sommes surpris que cela se passe vers le haut et sans retombée. Alors ce grand retournement a d’abord inspiré à toutes le conte Alice au pays des merveilles par la surprise et l’énormité des images. L’enfance est un monde magique et donc le retournement est magique et voulu par le rêve. C’est un intéressant lâcher-prise en faveur d’une imagination créatrice de cet autre point de vue recherché. Mais on ne pouvait en faire qu’un constat car il se passe ici tout autre chose que dans Alice.

 

À ce moment, nous pouvions nous référer à Jung : « L’idée de l’eau qui s’élève est aussi une idée alchimique. On lui a donné le nom d’aqua permanens qui signifie l’eau permanente ou l’eau éternelle. C’est l’anima mundi humide, sublimée ou tirée de la matière et formant une sorte de liquide grâce auquel on pouvait provoquer ces transsubstantiations. Ils utilisaient donc souvent le symbole de la fontaine, car le liquide invisible se rassemble en elle : il provient des éléments situés en bas, dans la terre, s’élève et apparait à la surface, générant la fertilité ... ».[4] Et de fait, il nous apparaissait que cette urine vers le haut était fluide et légère, et se changeant en état gazeux ou aérien puisque plus rien n’est visible de cette urine qui ne retombe pas. Et quand on pense à ce qui est invisible vers le haut, on pense à l’âme. Or, parlant de l’âme intelligente, Platon dit que « Cette âme nous élève au-dessus de la terre, en raison de son affinité avec le ciel, car nous sommes une plante non point terrestre, mais céleste. Et en effet, c’est du côté du haut, du côté où eut lieu cette naissance primitive de l’âme, que Dieu a suspendu notre tête, qui est comme notre racine et, de la sorte, il a donné au corps tout entier la station droite ».[5] 

 

         Mais en l’occurrence, la femme est à l’envers dans une sorte de conversion, de metanoia, ou au moins de retournement de conscience. Nous avons donc évoqué le Pendu du Tarot et le fait que cela réclamait du coup de la part de la rêveuse un moment d’attente avant une remise en marche par le fait d’acquérir un autre point de vue. Mais on ne pouvait en rester là car cette image n’obéit pas au rêve qu’il faut bien faire attention de lire tel qu’il est. La femme n’est pas pendue par le pied, et encore moins par le pied gauche qui est d’une grande importance pour le Tarot. Et on peut plutôt se tourner alors vers les nombreuses images d’arbre inversé (les plus anciennes dans les Upanishads[6]) qui fait que, si je suis un humain, mes racines sont au ciel et ma tête sur terre, comme les racines d’un arbre sont au ciel/Principe envoyant sa sève/énergie par ses branchages vers la terre.

Voici l’enseigne du noyer inversé sur une maison à Poitiers :

Une image contenant Sculpture sur pierre, Sculpture, soulagement, statue

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

De même l’arbre séphirotique est du haut en bas : il sort du Principe là-haut nommé l'Aïn Soph et va vers le monde nommé Malkhuth. Autrement dit, cet Arbre dont les racines sont en haut et le feuillage en bas nous apparaît comme un arbre inversé. Le corps humain qui lui est semblable, est comme un arbre inversé.[7] Il est l’axe du monde.

 

Puisque pour la Table d’Émeraude, « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », il est fort à parier que l’enjeu du rêve soit la réunion des contraires, donc le contact du Soi et du moi... Comme l’écrit Jung, « Il existe dans la psyché un processus tendant vers le but final et, pour ainsi dire, indépendant des conditions extérieures ».[8] C’est ce type de rêve auquel nous sommes confrontés comme il était dit en introduction.

 

         Il n’y a pas de crainte dans ce chemin : la rêveuse est en sécurité car une femme a déjà fait le trajet, dit le rêve.

 

Pour finir, nous avons constaté le lieu étroit que sont les WC magiques. Cela fait penser à une cheminée ouvrant vers le haut. En latin, le mot caminus a deux significations : il est à la fois la cheminée et le four, l’athanor. Et en français, le mot a donné chemin. Tout est dit sur le projet de la rêveuse : dans ce WC magique comme une cheminée, notre rêveuse s’est glissée pour trouver ses racines dans le Soi, lui offrant sa nécessité corporelle pour une conjonction des contraires et comme le disait ML Von Franz au début de ce texte : « Me voilà, c’est ainsi que je suis ».

 



[1] La voie des rêves, édit. La Fontaine de Pierre 2008 p.188

[2] CG Jung Psychologie et alchimie, édit. Buchet-Chastel page 308

[3] Op. cité p.310

[4] CG Jung Symboles oniriques du processus d’individuation, séminaires de Bailey Island, édit. La Fontaine de Pierre 2021 p.388

[5] Platon le Timée, 90 a-b

[6] https://centre-sesame.fr/les-enseignements/enseignements-abdennour/lenracinement-spirituel/

[7]Annick de Souzenelle, Le Symbolisme du corps humain édit. Albin Michel 1991

[8] Psychologie et Alchimie p.89