Mourir ? Oui, à un moment ...

 

    Quand un mal physique s’impose, on ne peut s’empêcher de sentir le souffle de sa propre mort effleurer notre pensée. Chacun a sa manière de commercer avec elle et j’aimerais en partager quelques-unes.

 

    Pour l’un d’entre eux, il était avéré qu’il devait mourir de son cancer dans trois semaines. Je vais le rencontrer à dessein pour connaitre les rêves qu’il aurait eu, je dirais même pour être enseigné par eux. Comme il n’est pas habitué à les retenir, il ne se souvient que d’un : « je suis à l’entrée d’un tunnel dont je vois une lumière au bout, mais soudain, je crie ». Ce cri réveille sa femme et lui-même. Ce cri est simplement le fait que la chair lutte encore, que ce n’est pas le moment de mourir – pardon – de voir la lumière. La chair voulait combattre. Je pense ici que le mystère est cette lumière est le mystère le plus profond. Il est évident que le tunnel noir est en fait simplement un passage pour accéder à la lumière. Cela me fait penser au rêve de la vieille femme cité par Marie-Louise von Franz : voir mon article « Meurs avant de mourir » dans ce blog.

 

    Et à propos de ces énergies combattantes entre la vie et la mort, j’ai été témoin de deux expériences dont je voulais vous faire part.

 

    Une femme à qui je donne des cours de chant lyrique et qui chante fort bien pour ses 70 ans, a un cancer dont il est possible qu’il y ait des rémissions.[1] Alors, qu’est-elle venue faire après toutes ses chimiothérapies ? Elle est venue prendre un cours de chant. La voix était en parfait état et la chanteuse assumait un de ces airs d’opéra italien dans lesquels l’héroïne est en train de mourir. Par ce choix de chanter ce type d’air, elle assume métaphoriquement son destin, sans le fuir dans une légèreté coupable. Cette chanteuse se tenait debout sur son chemin. Moment trop émouvant qui rompt tout ce qui est persona.

 

    Dans un autre contexte, une rêveuse qui me confie habituellement ses rêves fait une visio avec moi, elle qui a un cancer[2].  Alors que disent les rêves ? à l’inverse du premier rêveur qui voyait le tunnel, cette femme n’avait que des rêves toniques qui se sont imposés à nous deux. Je me souviens de l’un d’eux. Reprenant un heureux souvenir d’enfance, « je me souviens qu’on allait sur des très fortes pentes de montagnes pour « peigner » les myrtilles, et ainsi faire faire ensuite de si bonnes confitures et tartes par nos mères et grand-mères. Mais ses pentes sont dangereuses – élément important : quelqu’un de sa famille y est décédée en glissant par temps de neige – et un ami de son âge sur la pente lui dit que ce n’est pas facile de s’accrocher. Elle répond que si ! il suffit de planter un couteau dans la terre et de s’y accrocher ». Très clairement, la rêveuse « ne se laisse pas tomber », elle ne laisse pas tomber, elle s’accroche à un animus vital, elle ne monte surtout pas au ciel, elle s’accroche à la terre,  cette terre qui a de si beaux fruits. Elle s’accroche à ses forces de vie, les rêves le confirment.

 

    À l’inverse un homme vient d’être élu pour une fonction qui va durer 4 ans. Je serai son successeur au bout de ces années. Mais au bout de 6 mois, il me demande prématurément quelles personnes je vais placer dans l’Association. Je bafouille un nom n’ayant pas eu de réflexion légitimée à ce propos pour un évènement qui aura lieu dans trois ans et demi. Mais il arriva que quelques mois avant la fin de son mandat, il eut une opération pour une hernie quelconque et qu’on lui découvrit deux tumeurs au cerveau. Après un coma artificiel, il fut « débranché » trois semaines après. Je crois qu’il y a trois ans, l’Inconscient savait ce que le Moi ne savait pas.

 

                                                     Gaël de Kerret



[1] Permettez-moi de ne pas préciser le type de cancer afin de protéger encore plus l’intimité de la personne.

[2] Même discrétion.