Une femme eut une vision un matin. Pourquoi une vision plus qu’un rêve ? c’est qu’elle était au repos mais éveillée malgré tout :

    " Je vois, de profil (allant je pense de la droite vers la gauche) une espèce d'animal-sculpture en posture de sphynx, mais c'est plus un mélange de lion coloré (vert, rouge, or si je me souviens bien, à l'aspect plutôt asiatique) et de cerbère. Ensuite commence un processus de chute à travers une sorte d'immense spirale, peut-être tournoyante, lumineuse ; à un moment donné il y a du feu." 

    Elle commente alors : si je ne me trompe, c'était une impression à la fois de vortex et de descente aux enfers, mais clairement pour un processus alchimique très important, et qui finissait sur un sentiment positif, voire heureux, d'avoir traversé ce qu'il fallait traverser.

 

1) Le but

    Ce qui est remarquable immédiatement, c’est la présence d’archétypes assez connus. Aucun élément évoqué ne vient de nulle part et s’ils sont présentés, c’est pour se mettre au service de la femme qui a eu cette vision en vue d’une étape dans sa Réalisation.

    Le sphynx est un animal-sculpture de pierre à plusieurs caractéristiques, écrit-elle. On peut donc en conclure qu’il a une conscience animale, pas encore humanisée ou pas encore réalisée. Pour appuyer cela, on voit que dans la mythologie égyptienne, le sphynx est en pierre représentant un lion avec tête humaine. Rien de cela ici. Cependant son attitude de sphynx lui donne une autorité telle que cela initie pour la femme un processus radical. Le Livre des morts écrit : « Le sphynx veille toujours sur les nécropoles géantes. C’est le gardien des seuils interdits et des momies royales ; il écoute le chant des planètes ; il veille au bord des éternités ; sur tout ce qui fut et tout ce qui sera. »

    Il s’ensuit donc que la pierre/sphynx a besoin de devenir être vivant. Pour cela elle devient lion qui dans toutes les civilisations se trouvent à l’entrée de temples ou de châteaux pour en montrer la mission protectrice. Ici, cette œuvre de protection de son temple intérieur a besoin de s’adoucir au contact de l’inconscient profond. C’est pourquoi il va prendre plusieurs couleurs ; en fait les couleurs de l’œuvre alchimique nécessaire à celle qui reçoit cette vision. Donc le lion a cela de remarquable dans la littérature et l’iconographie qu’il est un animal se transformant. La vision se servira donc de ce véhicule.

- Le lion est vert. 

Pour Jung cité aussi par Barbara Hannah [1], le lion vert dévore son propre esprit, intègre donc sa propre âme qui est plénitude. C’est donc l’annonce d’un renoncement à l’unilatéralité solaire, et plus psychologiquement, un changement de la nature de son animus, de sa direction de vie. Concrètement, il semble que cette femme a souvent été attirée par des hommes à l’aspect solaire avec ce que cela sous-entend d’incomplétude. Cette femme partagea cette association à propos : «J’avais un ami autour de l’âge de 24-25 ans - nous étions co-locataires - qui avait une vraie crinière de lion ; un personnage extraordinaire qui a joué un grand rôle dans ma vie. Pour résumer, il a réveillé chez moi et l'humour, et une mise en œuvre du mysticisme qui m’habitait depuis l'enfance. En bon Hermès, il avait un petit côté filou : il me doit de l’argent depuis des dizaines d’années et en est sans doute un peu gêné, puisque je n’ai plus de nouvelles. Je l'ai d'ailleurs recherché sur Google il n'y a pas si longtemps que ça sans grand succès, m'en inquiétant un peu. »

    Cette association souligne donc deux aspects de liberté : l’humour et le mysticisme conçue comme l’audace de penser autre chose que ce qui apparait aux yeux habituels. C’est donc un Hermès dit-elle et bien qu’elle ne l’ait pas vu depuis plus de 30 ans, elle s’en inquiète, comme si ce qu’il portait était une part importante en elle et qu’il fallait absolument conserver.

    Toujours sur ce sujet, on peut aussi lire cet extrait de l’Atalante fugitive : « Tu ne pourras en aucune manière préparer la pierre sans le duenech [2] vert et liquide qui parait naître dans nos minières. Ô vert béni qui engendre toutes choses !  Sache donc qu’aucun végétal, aucun fruit n’apparait en germant sans que la couleur verte ne soit présente... Ce lion vert lutte avec le dragon ; mais il est vaincu par lui ... lorsque le lion est tombé en pourriture, on espère que de sa gueule, il sortira de la douceur ». [3] Il s’agit donc bien de faire changer la couleur de l’animus grâce à l’énergie terrestre du dragon. Donc la femme voit qu’il est aussi rouge de l’amour du solaire et de la terre.

- Le lion est rouge de feu comme sa crinière.

 

    Il est l’autorité pour établir la justice, quoiqu’il en soit.  Mais s’il est rouge, c’est que « le vase féminin boit le sang du lion », dit l’alchimie. Cela veut dire que le spermatikoï qu’il est, est destiné à se transformer en un « jeune lion », non plus un vieux lion. Barbara Hannah note dans son livre [4], que, sur une amphore mithriaque, il est représenté « un lion en l’air, au-dessus du vase, comme s’il allait se précipiter lui-même dans le chaudron en flammes. Comme le vase est un symbole féminin, le lion aspire évidemment à une renaissance ». C’est ainsi que l’on peut comprendre le feu et la lumière qu’il y a pendant la chute.

- Le lion est doré.

 

    L’or est à la fois la fin de l’œuvre, mais aussi le temps du soleil doré à la fin de la journée. A mon avis, se joue ici plutôt l’aurore occidentale dont parle Etienne Perrot [5] : qui fait le chemin de Compostelle doit prendre le chemin après l’église pour voir le soleil/lion tomber en mer, donc rejoindre la nuit de l’inconscient, promesse d’une aurore bienfaisante. Il nous faut, écrit Frédéric Nietzsche, une « nocturne initiation orientée vers l’une de ces aurores qui n’ont pas encore lui ». Puis retrouvant l’aurore puis la viridité cyclique du lion vert, la femme qui eut cette vision se rend compte de l’acceptation du mouvement archétypique qui est en elle comme si son individuation incluait l’univers. Ainsi le temps est toujours mouvement. Son animus est en continuelle transformation. C’est pourquoi le travail d’un rêveur ne s’arrête jamais. On ne le fait pas pour se soigner un instant et revenir au quotidien banal. On le fait pour épouser les cycles de l’Univers, donc le numen.

- Couleurs asiatiques

 

    Revenons à notre lion qui a « peut-être » des couleurs asiatiques comme le montrerait la photo jointe. La tradition fait que ces lions vont par deux à l’entrée d’un temple, l’un masculin, l’autre féminin. Une dualité des contraires qui ne peut se résoudre qu’à un niveau supérieur : l’entrée dans le temple.

 

2) La méthode

- Le cerbère

    Si le sphynx est le gardien des seuils, c’est qu’il est donc aussi naturellement un cerbère, ce que dit curieusement aussi la vision. On est donc bien dans le monde des archétypes puisque ce lien cerbère-lion a déjà été produit dans l’histoire sans que cette femme le sache. S’il est un cerbère, c’est une entrée pour aller en enfer. Et elle y va. Non pas au sens profane/moral, mais dans une chute en soi-même, tout-à-fait maitrisée car en spirale.

- La spirale

    La spirale, c’est résoudre les problèmes du vivant, mais à chaque fois à un niveau différent et donc à chaque fois plus proche du centre. Et plus on s’approche du centre de la spirale, plus on peut dire comme la vision le dit : « j’ai fait ce qu’il fallait ». Le lion tombe donc dans une spirale, donc comme l’image d’entrée du blog dans lequel vous lisez cet article. Comme disait Jung dans son Livre rouge : « comment voulez-vous aller dans les hauteurs, si vous n’allez pas d’abord dans les profondeurs ? ». Il y a donc promesse que, sous ces conditions, le lion crépusculaire renaitra autrement.

    Un symbole est toujours polysémique. La chute n’est pas ici « tomber de haut », qui serait la conséquence d’une inflation psychique. C’est une chute en spirale qui a un sens tournoyant de planètes ou spirale universelle, unus-versus, tournée vers l’Un, tournée vers l’individuation. Il est remarquable de voir que, de cette vision que d’aucuns trouveraient cauchemardesque, cette femme la trouve heureuse. C’est ainsi que le bonheur ne s’invoque pas, ne se paye pas de mots, mais se trouve être dans la volatilisation de toute fixité.       


Dans l’emblème du Tibet, les lions noirs et blanc semblent vouloir acquérir des couleurs ...


                                                            un lion des neiges

 

Conclusion : l’universalité de la vision

    Ce qui est commun à chaque être humain est ce monde des archétypes. Une personne non habituée se pensera folle ou au moins doutera d’elle-même. Elle sera rassurée par le fait qu’elle est loin d’être la seule à être traversée par ces images si anciennes, si anciennes qu’elle se confondent avec l’origine du monde puisqu’on ne peut les dater. Le scientifique pourra en trouver les premières traces qui ne signifient pourtant pas qu’il en a trouvé l’origine... sans origine.

    La personne qui reçoit cette vision élargit son esprit à la dimension de l’univers ; elle prend en compte la solidarité de toutes les races humaines justement parce que nous avons tous les mêmes archétypes par tous les temps et continents.

    Plus particulièrement, si cette femme a eu cette vision en mars 2023, c’est que son travail personnel rejoint la vocation humaine fondamentale, d’où son bonheur final exprimé.

                                                                                                     avril 2023 Gaël de Kerret



[1] Op.cité p.394

[2] Le chêne

[3] Michael Maier L’Atalante fugitive, édit. édit. Dervy 1997 p.279

[4] Le symbolisme des animaux, édit. La Fontaine de Pierre 2012 p.330

[5] Etienne Perrot, L’Aurore occidentale, édit La Fontaine de Pierre 1982