Ouverture sur l’autre scène et sur la scène de l’autre

 

Il y a peu Gaël de Kerret m'a fait part de son projet de créer un blog pour faire connaître à un certain public, la voie des profondeurs et la psychologie symbolique de Jung. Projet osé mais intéressant, il permettrait à certains d'évoluer vers leur centralité, la remise en ordre de leur désunion existentielle, en proposant leurs rêves à un interprète via le blog. Avec sourire, je comparais cela avec une sorte de doctolib pour trouver un praticien Junguien. Mais c’était une remarque trop ironique pour un projet sérieux et de la part d’un psychiatre sérieux.

En 1978 Etienne Perrot répond en direct aux auditeurs de France Inter qui le questionnent pendant plus de six mois sur la signification de leurs rêves. L’émission est un succès retranscrit dans son livre « Les rêves et la vie ».[1] Alors pourquoi pas un blog 40 ans plus tard ? Étant psychiatre et psychanalyste, la multitude de patients écoutés en consultation ou en séance psychanalytique m’ont donné l’expérience du psychisme dans laquelle le rêve a une grande place : « la voie royale vers l’inconscient » selon Freud. À mon avis, un blog sur le rêve peut sensibiliser une personne au discours de l’inconscient sur une problématique ou un éclairage à un moment de sa vie. Il pourra s’adresser à un interprète de rêve du blog formé au langage symbolique. Un questionnement autour d’une souffrance plus profonde nécessite un cadre plus structuré. Le blog ne peut être considéré comme un espace de psychothérapie professionnelle. Mais quand un rêve vient percuter notre conscience, il peut être profitable de trouver un espace accessible où la parole circule autour du rêve.

Je veux donner l’exemple d’un rêve personnel qui fait écho au projet de Gaël : « Assis dans une salle de cinéma plus large que longue, proche de l’écran je me retourne pour dire à une jeune fille d’arrêter de donner des coups de pieds à mon siège, que je suis là pour être tranquille, elle fait partie d’un groupe de jeunes gens, personne ne bronche à ma grande surprise. Arrive l’opérateur qui vient changer la bobine. Il se passe la même chose dans une salle identique et symétrique à gauche qui communique avec la mienne par une large porte ouverte. De la droite arrive “un grand professeur ” (la matière enseignée n’est pas précisée) qui passe discrètement devant moi pour aller s’asseoir. C’est sans doute l’entracte, pourtant Il n’est fait aucune référence au film, comme s’il n’y avait pas de projections. »

L’entracte évoque le temps de réflexion entre les deux séquences, la première séquence c’est ma façon habituelle de voir le rêve avec un patient dans un cadre connu professionnel, la deuxième, c’est un peu l’inconnu de ma pratique : écouter un rêve dans un autre cadre comme le suggère ce blog, l’autre bobine de film, une nouvelle vision du symbole. Le professeur dont parle le rêve, c’est la possibilité de relier l’inconscient au conscient de façon cohérente, ce que Jung appelle la fonction transcendante. L’autre salle de projection, la salle des blogueurs rêveurs éventuels. La jeune fille c’est la sensibilité, l’intuition qui sollicite l’attention du rêveur (l’anima), le « comme s'il n'y avait pas de projections » souligne l’importance de ne pas projeter sur l’autre ce qui n’appartient qu'à nous-même, (le retrait de projection, l'époché phénoménologique). C'est la communication avec l’autre scène et la scène de l’Autre à travers les images projetées par l’inconscient sur l’écran de la conscience du rêveur.[2]

Je crois personnellement qu'un rêve ne doit pas être surinterprété comme je viens de le faire à titre d'exemple. On peut scander, sur une métaphore onirique, une métonymie ou un simple signifiant comme le pratiquait Lacan, comme sur une note dans une partition ou une couleur dans un tableau et qui viendrait comme un insight éclairer la scène.

Le message doit être reçu par une intégration artistique quasi contemplative qui révèle l'intelligence du rêve. Au final cela n’appartient qu'au rêveur et à sa personnalité profonde

Le but de la dialectique du moi et de l’inconscient (à travers l’analyse des rêves entre autres), c’est d’après Jung, la possibilité d’amener le Moi à une ouverture sur une transcendance qui le dépasse par sa numinosité toujours renouvelée qu'il nomme le Soi et qui reste la source de la guérison psychologique.

Docteur Jacques PEYRACHE   (voir onglet contact)

 

 

Note : En ce qui concerne mon parcours avec la chose PSY, j’ai fait des études de médecine, puis une spécialisation en psychiatrie. J’ai fait une analyse avec un psychiatre de la cause freudienne, c’est à dire un “Lacanien”. Au cours de mon exercice, tant en tant qu’assistant des hôpitaux qu'en tant que praticien libéral, je me suis intéressé à ce qu’il pouvait y avoir de commun entre Jung et Lacan.[3] Le Sujet de l’inconscient, le sujet barré, l’objet « a » et l’inconscient structuré comme un langage sont des concepts lacaniens qui peuvent résonner avec les concepts de Soi, de moi, d’imaginaire relié au réel et au symbolique. Après avoir rencontré et travaillé avec Francine Perrot, fondatrice des éditions de La Fontaine de Pierre avec son mari Étienne, un temps membre de la Société Française de Psychologie Analytique, j’ai rencontré Gaël de Kerret sensible comme moi à l’œuvre d’Henry Corbin[4], spécialiste de l’islam iranien et phénoménologue premier traducteur de Heidegger. Voilà ce qui m’a conduit à entendre parler de ce blog auquel je participerai activement avec les personnes qui prendront contact avec moi via ce blog (voir l’onglet « contact)

 



[1] Édit. La Fontaine de Pierre 1979

[2] Dans ce rêve tous les personnages sont des aspects du rêveur, c’est l’interprétation subjective qui s’impose ici.

[3] Lacan disait de Jung : "le problème avec Jung, c'est qu'il a tout compris " ...ironie ou admiration ?

[4] Corbin et Jung ont souvent échangé notamment aux rencontres d'Eranos en Suisse