Quelques moyens de lecture d’un rêve (II)

 

 

         Puisque l’article au titre similaire paru dans « convictions initiales » a été beaucoup lu, je me sens dans l’obligation de l’amplifier en même temps qu’y donner des limites : aucune méthode ne peut devenir une recette universelle. Et Jung n’a jamais demandé à ce que l’on devienne jungien.

Prenons garde aux « grilles de lectures » qui sont comme des pensées formatées emprisonnant l’interprète, jeu de mots voulu ici. De même que l’approfondissement culturel d’un archétype est soleil irradiant, il crée forcément son ombre : l’interprétation d’un rêve peut devenir considérations sur le contenu du rêve sans rapport avec la réalisation du rêveur.

         Pour remémorer l’article en question, j’avais abordé les images de profondeurs psychiques d’un rêve, … les associations que le rêveur fait d’éléments du rêve, … les rêves se parlant l’un à l’autre, … l’irrationnel surgissant « soudain » dans un rêve, … les séries de rêves qui parlent du même sujet sur un temps long, … l’intuition de l’interprète.

         Donc, je me donne le devoir de continuer l’article en question même si l’essentiel a été dit. Commençons.

 

Quelqu’un prend place dans un rêve. Qu’en faire ?

         Il faut toujours être prudent en la matière car un mille-feuilles est possible et de plus en plus complexe !

         Bien sûr on demande la situation objective de la personne dont on rêve.

         En deuxième lieu, on demande ce que le rêveur pense de la personne rêvée, ce que sa présence dans le rêve fait à sa conscience. Un sentiment survient alors et c’est ici que les choses se complexifient.

1) Soit : cette personne représente une part de la psyché du rêveur. En ce cas, on voit le film du rêve procéder à un ajustement éventuel dans la conduite personnelle. Dans un cas, le rêve confirme la bonne position du rêveur et le rassure donc. C’est une bonne chose quand le conscient n’est pas trop sûr de ce qu’il faut faire dans le quotidien. A l’inverse, le rêve peut alerter et ajuste le rêveur pour aller dans une autre compréhension de la situation.

Ceci se passe quand les caractéristiques sont bien établies.

2) Soit : cette personne qui est mise en scène dans le rêve est objectivement en cause parce que le rêveur est au courant de certains évènements le concernant. En ce cas, le rêve avertit le rêveur d’une attitude à adopter envers la personne en question car des dangers rôdent éventuellement.

3) Mais les choses s’approfondissent quand on pose la question suivante : pourquoi le rêve a-t-il voulu parler de cette personne ? Oui, on peut parler avec compassion de la personne rêvée mal en point dans la réalité. Mais est-ce que ce qui est rêvé appartiendrait au rêveur lui-même sans qu’il le sache vraiment ?

Cette hypothèse n’a rien à voir avec la première car le conscient, le moi, y dominait la situation. Dans cette troisième hypothèse, le rêveur « ne sait pas ». Son conscient n’est pas allé jusqu’à cette profondeur parce qu’elle ne le pouvait pas, soit par nonchalance, soit par résistance. Quelquefois la nonchalance est un mensonge plus pernicieux car la résistance montre que l’on est tout près de ce qui est important.

         Dans ce cadre, les « patates chaudes » inconscientes les plus fréquentes qui sont transmises au rêveur sont :

- la répétition d’un modèle patriarcal, c’est-à-dire une raison de vivre qui ne correspond plus à l’époque et au moi qui réclame son dû, c’est-à-dire l’individuation, le Soi.

- Ou à l’inverse ; ce que l’on appelle la Grande Mère qui étouffe petit à petit le rêveur et ceux qui l’ont entourée sans qu’ils le sachent : qui dans les mères a aspiré les énergies autour d’elle ?

- la maladie physique dont parlerait un rêve correspondant à une maladie psychique chez le rêveur.

- un drame familial – les secrets de famille – qui n’a jamais été dit et qu’avec difficulté le rêve essaye de faire surgir. 6 ou 7 générations jusqu’à ce que cela s’apaise … sauf s’il y a travail.

- …

         Pour ma part, j’aurais connu un secret de famille qui a été levé par inadvertance vers mes 40 ans. J’en ai changé de métier sans vraiment le décider, ça s’est fait tout seul ! Et je sais que j’ai fait ce que je devais. On a du mal à se rendre compte combien ces poids inconscients sont des…poids ! la seule solution fut pour moi de devenir comme je l’ai écrit « mon propre père et ma propre mère ».

Avançons.

*  *  *

Qu’a de plénier ou d’ambigüe la belle esthétique d’un rêve ?

          Dans le cadre de la nonchalance du moi dont je parle supra, il y a les « beaux rêves ». Là aussi, il faut garder prudence en tout jugement hâtif.

1) Un beau rêve est une nécessité pour l’inconscient de témoigner de la justesse du rêveur. Il a fait son œuvre d’équilibre de la balance alchimique conscient-inconscient après une période trouble. Il propose des images profondes que l’histoire humaine a déjà répertoriées comme archétypes de réalisation.

 

2) Un beau rêve peut être une fuite de la réalité. Les nuages, les belles petites fleurs, les images innocentes cachent quelquefois des orages que le rêveur ne veut pas voir. Alors le rêve console un instant. Mais quand on est trop haut, on peut tomber de haut. Ne soyons pas dupes. L’orage éclatera.

         Mais comment l’interprète fait-il la différence avec la première hypothèse ? C’est qu’il y a eu en 1) un travail intérieur qui précède une confirmation d’une réalisation en cours. En revanche, quand il y a réitération désincarnée de beaux rêves, c’est que le rêveur cache quelque chose. Le rôle de l’interprète est ici fondamental. Mais il faut aussi penser que le rêveur pourrait alors ne pas le supporter : il est arrivé à Jung de laisser partir quelqu’un parce qu’il valait mieux qu’il en reste là sinon la décompensation serait trop grave.

         Les Éditions la Fontaine de Pierre ont sorti les Conférences sur Aurelia de Gérard de Nerval[1]. Nerval s’est suicidé, s’est pendu. Il avait à côté de lui le manuscrit d’Aurelia qui était un panégyrique du concept grec de la Beauté comme idéal jamais atteignable mais toujours rêvé.

 

Qu’a de plénier ou d’ambigu un mauvais rêve ?

         Dans le cadre de la résistance du moi dont je parle supra, il y a les cauchemars.

         L’interprète restera distancié par rapport à l’émotion d’un rêve noir, afin que, dans le cadre du transfert psychologique entre l’interprète et le rêveur pendant une séance, ce dernier ne soit pas débordé par son émotion. Quelle émotion ? l’émotion d’un archétype en action qui veut se manifester au rêveur qui résistait à aborder tel ou tel sujet.

         Le cauchemar n’est pas un drame, il est une nécessité. Il exige une transformation chez le rêveur. Mais comme le dirait le chapitre 9 du Livre de l’Apocalypse, il y a toujours une clef qui sort de l’abîme. C’est comme ça. Mon expérience d’interprète se rend compte que lors de la narration d’un rêve trouble et angoissant pour le rêveur, il y a toujours un petit coin de lumière, une arme donnée au rêveur pour se battre avec ce qui est perturbé et perturbant. Un rêve ne condamne jamais. Il y a toujours de l’amour dans un rêve.

         Oui, il faut obéir au mauvais rêve. La situation délicate qui est mise en scène doit être considérée (religieusement comme l’écrit Jung) avec sagesse par l’interprète. Nerval n’a pas voulu voir qu’il étouffait son Soi par ses idéalismes. Mais une rêveuse est sortie de son noir simplement en se rendant compte qu’elle reproduisait les auto-jugements négatifs de sa mère.

 

                                                              janvier 2023 Gaël de Kerret



[1] C.G Jung, conférences sur Aurelia de Nerval, édit La Fontaine de Pierre 2020