Faut-il suivre ses rêves « à la lettre » ?

 

 

Gaël de Kerret : notre âme est changeante et il faut être à sa disponibilité sinon elle criera sa colère. Les sites d’interprétations de rêves réduisent souvent le sens d’un symbole présent dans un rêve à une seule idée, alors qu’il peut être multiple car surtout inspiré différemment par le contexte intime de la personne.

Éric Mackovcin : Oui, tu as raison et permets-moi de t’en donner un exemple. En fait je me souviens avoir reçu une femme qui, une nuit, avait rêvé qu’elle devait se mettre à la peinture. On lui avait suggéré qu’il fallait prendre le rêve au pied de la lettre et se mettre à peindre ; cela l’inquiétait, car elle n’avait pas du tout selon elle une fibre artistique. Et puis il faut acheter du matériel et savoir s’en servir ! Je lui ai d’emblée fait remarquer que ce n’était pas cette interprétation unilatérale qu’il fallait retenir car le langage des rêves utilise des symboliques imagées pour parler du sens de ce rêve : une série de rêves sur plusieurs séances par la suite nous confirmerait ou pas cette signification.  De fait, ce qui est apparu comme thème par la suite, c’est que cette personne avait besoin d’être cadrée. Un tableau, c’est un format rectangulaire avec des limites ! Sa personnalité mouvementée par ses expériences de vies diverses et difficiles avait besoin d’un cadre pour s’ancrer et s’épanouir dans une nouvelle réalité la concernant. Le sens du cadrage permettant un éclairage sur des évènements vécus et d’en prendre conscience avec une nouvelle vision, de saisir un point important de prise de conscience.

Gaël : Je comprends bien le « recadrage » que tu introduis. Il prévient d’un flot irraisonné de pensées inconscientes qui ne seront pas apprivoisées. Ceci fait, on pourrait alors se dire que la peinture que la rêveuse y effectuera sera formes et couleurs comme une incitation à mettre en pratique de manière plus équilibrée sa relation à la richesse de son monde intérieur qui a besoin de plus de conscience. Écrire ses rêves de la nuit est donc semblable à la mise en peinture de son âme d’où il ressort des symboles et des archétypes qui font sens. Et quand en plus, c’est un cadre de 4 angles comme une quaternité, c’est plein de promesses.

Éric : Et en effet, cet autre sens a émergé par la suite :  il est vrai qu’un tableau est semblable à une fenêtre, une ouverture (Le tableau de la Renaissance jusqu’au 19ème siècle est une fenêtre sur le monde). On est alors amené à pratiquer cette ouverture sur son monde intérieur qui lui faisait signe par ce rêve.

Gaël : Tu me parles de la possibilité de plusieurs interprétations pour un rêve, on voit qu’il n’y en a pas qu’une, ça reste ouvert !

Éric : L’autre piste de sens concernant la rêveuse serait de tracer de façon manuelle et simple au niveau des moyens, un motif qui va se manifester par le dessin et des couleurs, mettre la main à la palette de sa vie intérieure qui sera source de fécondité de consciences et de mutations.

Elle fut soulagée de ne pas avoir à acheter un chevalet ! Et on commença un travail en profondeur.

Gaël : Bravo et bonne continuation sur ce pèlerinage de vie humaine ! En fait, un objet est symbole polysémique. L’autre partie du symbole - le tableau en l’occurrence - sera connu :

1) soit directement par association produite par le rêveur. Et on peut être surpris quand un rêveur dit que pour lui, un tableau, c’est un tableau électrique (là où place tous les fusibles et les connexions électriques d’une maison). Et son association est tout-à-fait intéressante résonant comme un appel à illuminer les moindres recoins de sa maison.

2) soit que l’interprète doive renoncer provisoirement à tirer la substantifique moelle d’un sens car comme Éric le disait, il apparait au bout d’une série de rêves qui traite du même sujet et non pas dès le début. Comme je l’écrivais dans un autre article : seul l’inconscient est le thérapeute qui poursuit son chemin jusqu’à ce que le rêveur et l’interprète soient sur le même chemin.

3) soit enfin une dernière pirouette de la vie intérieure : il est rare aussi – et notre dialogue en témoigne – que l’inconscient se contente d’accepter même une fixation de ce qu’il amène à la conscience. La rêveuse en l’occurrence est passé du « cadrage » pour résoudre légitimement un relatif affolement à « ce que l’on peint à l’intérieur du cadrage », ce qui donne un sérieux évident au travail avec son interprète.

Notre travail fait sens selon l’acception de François Cheng : il est « sensation, direction, signification »[1] . Il est signe. Il fait signe.

                                                                         juillet 2021



[1] Cinq méditations sur la beauté, édit. Albin Michel 2006 p. 35 et 40