Interprétation d’un rêve : le squelette dans la forêt

 Le rêve:

Mon père, toute ma famille paternelle proche et moi-même sommes dans une forêt de grands sapins (elle me fait penser à la forêt de Bélesta, dans l’Ariège). Nous y cherchons une source que mon grand-oncle connaît.

Mon petit frère et moi nous égarons soudain dans un grand creux de cette forêt. C’est comme une énorme cuvette aux pentes escarpées d'où il semble plutôt difficile de s'extraire. Il y a des arbres très hauts, comme dans tout le reste de la forêt. J’essaye de remonter les bords mais, sans aide, c’est très difficile.

Mon frère finit par s'en sortir : il est tiré en dehors de la cuvette par le reste de la famille (à l’aide d’une corde ?). Au même moment, je me sens attrapé par quelque chose, derrière. Cette chose m’encercle puis me tire brusquement.

Je finis par buter contre le tronc d’un grand arbre. Je me tourne et le regarde. En haut, il y a un squelette. Il me tire à lui avec la corde qu'il a enroulé autour de moi. Il me hisse au sommet de l'arbre. J’arrive vite vers lui. Je suis tout près. Il tend la main vers moi. Il va m’attraper.

 

         Un étudiant qui a une trentaine d’années m’envoie ce rêve qu’il a eu quand il avait huit ans et dont il se souvient toujours ! Une première indication vint alors à ma pensée : ce souvenir réitéré est sans doute un rappel de sa vie intérieure qui est de l’ordre d’une sagesse fidèle et tenace remarquable. Nous en reparlerons.

 

         Que veut nous dire alors le rêve ? Dès le début de la narration, on voit qu’il se situe dans le monde du père, le monde masculin, sans doute pour nous signifier le sujet : la construction de l’homme chez cet enfant de huit ans. Ce n’est pas encore le temps de la découverte du féminin en lui.

 

         Quel moyen prend le rêve ? Celui de rentrer dans la forêt, archétype de l’Inconscient, de ses recoins, de ses ombres et lumières, de ses trésors cachés comme le racontent tous les contes de fées. La langue des oiseaux peut nous susurrer que son contexte paternel et le sien par la même occasion est en « Bel état ». Il s’agit donc non pas d’un rêve d’avertissement, mais d’indication d’un sens de vie dans un contexte équilibré.

 

         Et bien sûr, comme dans tous les contes, il y a une source dans la forêt, source de la vie que le grand-oncle connait : il est la symbolique de l’ancien, celui qui connait les choses de la vie… Il faut croire que le rêveur sait qu’il y a en lui « l’homme vieux de deux millions d’années » citation de Jung dont je parle dans l’article « De la solitude à la Solitude ».

 

         Mais ne nous méprenons pas sur la recherche de la source idéelle. Ici, le petit garçon de huit ans et son frère (donc les jeunes de la famille) s’égarent en réalité dans l’ombre d’une source : un grand creux duquel on pourrait ne pas ressortir. Voir à ce propos la photo de présentation de ce blog ! Si Jung a appelé notre travail « la psychologie des profondeurs », il y a des raisons : il fallait pour notre rêveur descendre encore plus profond, dans un lieu déraisonnable qu’est ce creux, ce vide… et qui est pourtant une source. Cette rentrée dans l’inconnu de soi-même est cependant ornée de très beaux sapins bien verticaux et hauts comme la promesse d’un pont entre terre et ciel, entre haut et bas, entre lumière et ombre, entre dedans et dehors, et enfin selon une association faite par le rêveur : une colonne vertébrale. Bref, une verticalisation de l’homme.

 

         Puis on voit s’exercer une solidarité familiale. Les deux frères ne peuvent pas s’en sortir tout seuls, mais une corde, un fil rouge pourrait-on dire, parcourt les anciens de la famille pour tirer le petit frère de l’épreuve. Ou le rassurer. Il faut bien être clair ici. Jamais la famille n’aura dit d’éviter de tomber dans le creux et de chercher la source. La famille en « bel état » sait qu’il faut expérimenter ce creux en nous, ce Graal en nous, mais par sa solidarité, en sortira le jeune frère parce que ce n’est pas le moment pour lui de faire l’expérience fondatrice de l’Inconscient. Mais pour le rêveur, c’est le moment.

 

         En effet, le texte nous dit que le rêveur est tiré, non plus par ce que l’on pourrait appeler le « soutien familial » mais par quelque chose qui est « derrière » donc de l’ordre de l’invisible, de non encore conscientisé. Et comme le sujet est « encerclé », le mouvement est à la fois de l’ordre de la verticalité et du cercle, du centre et du cercle archétypiques. Puis il bute contre le tronc d’un grand arbre, autrement dit la découverte de sa caractéristique masculine. Et il y a en même temps un squelette. C’est donc que le rêveur est appelé à la mort d’une part de lui-même pour une régénération en arbre haut comme les sapins. Il s’agit bien en l’occurrence de faire mourir le jeune enfant pour l’avènement de l’homme en lui.

 

         Mais dans le même temps il s’approche de plus en plus du squelette ![1] À la façon de l’enfant qui, dans le Roi des Aulnes de Goethe, doit faire l’expérience de l’envers du monde, mais à la différence que le père dans la poésie ne veut rien y voir. Nous remarquons dans la narration que le rêveur ose, lui, « se retourner » pour faire face en un seul regard à la verticalité en même temps qu’à la mort. Et il ne s’en défend pas. Expérience fondatrice qui est d’accepter d’être transformés tant par les petites morts que la grande mort : ceci nous concerne tous et m’a interpellé personnellement. Notre rêveur l’a su dès ses huit ans et il ne fuira pas dans des distractions sociétales pour échapper aux mystères des morts.

 

         Notre rêveur n’a pas eu droit à la suite des évènements. Pourquoi ? parce que l’œuvre était faite : oser accepter la mort symbolique, accepter les petites morts pour une transformation continuelle dans sa vie, pour toujours être adéquat aux messages des profondeurs. Oui, ici, c’est la mort qui le sort du trou ! Et il en sort par le haut.

 

*  *  *

 

         Disons-le maintenant : dans la réalité, ce rêveur fait un Mémoire de Master II en anthropologie et ce, autour des rêves. On comprend maintenant pourquoi il doit tenir « en mémoire » cette expérience : il ne veut pas oublier le rêve de ses huit ans qui fonde son sens de vie. Il est dans l’aletheia grecque qui veut dire le non-oubli de l’autre rive du fleuve Lethé, ce qui est pour les grecs une manière de dire le mot Vérité.

 

         La seule différence avec d’autres personnes, c’est qu’il entretient cette mémoire en regardant d’abord de loin (ses études universitaires) mais, l’âge passant, s’approche de plus en plus du centre à la façon d’une spirale dite négative. C’est le cas de la spirale tournée vers le centre, unus-versus, sur le genou gauche de Jésus au tympan de Vézelay. Or à Vézelay, cet endroit est appelé « Porte des genoux ». Sans doute y a-t-il quelque chose à voir par là ! Comprenne qui voudra !

 


                                                                                                         Gaël de Kerret   juin 2021

 




[1] On peut relire à ce propos l’article de ce blog « Meurs, avant de mourir ».